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Rayon de lune
2 novembre 2008

Brumes parisiennes et spleen nantais

Voilà la saison du spleen qui s'installe, même pas le plaisir de savourer pleinement les dernières lueurs d'un été indien. Le froid s'infiltre partout, transperce la moindre couche de vêtements, aussi chauds soient-ils. C'est sous ces mornes augures que Paris s'est offert à mon oeil de touriste songeuse. Déambulant dans la grise capitale où l'opulence succède la misère, noyée dans le flot d'une foule d'anonymes pressés, j'éprouve cette sensation étrange de mal-être diffus tandis que s'est gravée dans mon esprit l'image de cet homme avachi sur un strapontin du métro, endormi, empestant le vin, semblable à une poupée désarticulée. Sentiment de malaise : je m'applique à regarder partout sauf dans sa direction, en espérant assez naïvement que ne plus l'avoir dans mon champ de vision me le fera oublier. Un autre soir, en route vers la tour Eiffel, cette jeune fille probablement plus jeune que moi, assise le long d'une vitrine, le corps à demi enfoui dans un sac de couchage... j'ai du mal à concevoir que ce soit possible. Dès que la réalité s'éloigne un tant soit peu de ce qui constitue mon quotidien, elle revêt les allures d'une fiction. J'ai ressenti un peu la même impression devant les armures de chevaliers du musée Dobrée de Nantes, ou encore face aux totems gigantesques du musée du quai Branly. Certes, le rapprochement n'est pas forcément évident, mais la pensée fonctionne pourtant sur le même principe dans les différentes situations : essayer de penser à ces éléments en tant que réalité (passée ou présente), autour de laquelle se distingue un contexte réel qui est loin d'être familier pour moi, crée une sensation tenace d'irréalité, qu'elle soit due à l'écart social, géographique, culturel ou historique. En dehors de ma petite vie se dessinent d'autres mondes, qui ne sont pour moi que des esquisses sans consistance, dont la dimension tangible m'apparaît fugitivement quand j'y suis confrontée, mais s'estompe tout aussi vite. Dois-je m'en vouloir de ce si rapide désintérêt pour ce qui n'est pas moi ni autour de moi ? J'en fais le constat froid sans pour autant me sentir coupable. Ces tristes considérations ne m'empêcheront pas de dormir, n'empêchent personne de dormir de toute façon, pourquoi aurais-je plus de scrupules que les autres ?

Je disais donc Paris et les sentiments contradictoires qu'elle éveille dans le coeur d'une petite provinciale comme moi, attachée à son univers familier. Arrivée à la Défense, sentiment de déperdition : tout est si immense, je suis ravalée à ma dimension d'être insignifiant, pas plus grande qu'une fourmi, pas plus signifiante que ce flot d'inconnus qui traverse mon champ de vision, quittant leur travail en cette soirée humide et froide, se hâtant de rentrer chez soi. Sensation de mal-être : la moindre parcelle de ce qui s'étend sous mon regard correspond à un monde qui m'est parfaitement étranger et qui me terrifie : je n'ai et ne veux pas avoir la moindre idée des enjeux financiers sans mesure qui se jouent dans ces tours géantes et sans âme. C'est le soir, et l'on distingue des milliers de petits carrés allumés, chacun correspondant à un bureau : chaque jour, des hommes prennent place dans chacune de ces cases et travaillent sans relâche jusqu'au soir. Ces petits cubes insignifiants, ces milliers d'hommes, ces millliers de subjectivités que j'imagine, mais que j'embrasse ici, de loin, du haut de ma taille de fourmi. Vertige.

Le soir, arrivée au deuxième étage de la tour Eiffel, l'effet inverse : je surplombe la ville, j'ai l'impression qu'ici rien ne peut m'arriver. Les immeubles éclairés, la Seine et les ponts qui l'enjambent, je contemple une jolie maquette, tellement réussie qu'on la jurerait réelle. C'est drôle. Le spectacle qui s'étend sous mes yeux fait de moi une privilégiée ; d'ici je ne ressens pas le vertige, juste la beauté froide et intemporelle d'une nuit parisienne embrasée d'une myriade de lueurs.

Froid, pluie, vent, fatigue, courbatures et mal au dos... Retour à la case départ, fin de l'épisode "voyage", de la bulle rassurante de hors-temps. Le quotidien revient avec ses soucis insignifiants et ses prises de tête à répétition. Mon âme atteinte de bovarysme aigu et nourrie au spleen ne connaît d'autre mode de fonctionnement que l'angoisse. Lancinante, son mouvement incessant est comme celui des vagues qui viennent lécher le sable. Il ne me reste qu'à en prendre mon parti et à tâcher de lutter contre ce qui est plus fort que moi. Je suis fatiguée, je ne sais même plus pourquoi je pleure. Juste envie de m'asseoir un moment au soleil. Sentir la caresse de ses rayons et de ton regard. Retrouver ces fragments d'éternité dont la perfection me faisait déjà redouter la contingence.

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